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La Cage Aux Cochons

3 février 2013

Quand les cochons sortent - 49

Eve, de son côté, allait mieux. Finalement, il semblait que j'avais eu raison, revoir Gustave avait été l'electro-choc dont elle avait eu besoin. A partir de ce moment-là, elle se reprit en main et reprit sa vie d'avant, peut-être un peu plus passivement qu'avant c'est tout.

Un jour, elle me demanda :

- As-tu des nouvelles de Violette ?

- Les dernières nouvelles que j'ai eu n'était pas pour moi mais pour Gustave.

- Et quelles étaient-elles ?

- Je ne sais pas, lui répondis-je, un peu déçue je dois bien le reconnaître, Violette était mon amie à moi aussi après tout... Enfin, j'imagine qu'elle avait elle aussi pas mal de problèmes à résoudre.

- Gustave ne te l'a pas lu ?  me demanda Eve.

- Non.

- Mais Gustave l'a bien lu lui au moins ? insista-t-elle.

- Oui oui bien sûr. Mais il n'avait clairement pas envie de me faire part de son contenu.

- Donc, il se souvenait de Violette ? me demanda Eve, tentant de montrer moins d'intérêt à la réponse qu'elle en avait.

Je ne savais donc pas si je devais être franche avec Eve ou non mais je n'avais plus le temps ni l'envie de trouver un mensonge adéquat, je me résignai donc à lui dire la vérité :

- Quand je lui ai tendu la lettre, son visage s'est illuminé aussitôt. Oui, il se souvenait de Violette, c'est certain. Il a parcouru la lettre et au fur et à mesure son visage s'est assombrit mais il ne m'a rien dit.

- Rien du tout ?!

- Non. Tout ce que je sais, c'est que..."

Je ne savais pas si je devais lui dire, je ne voulais pas qu'elle tente de le retrouver. Je voulais qu'elle continue d'oublier Gustave, pour son propre bien. J'espérais que la suite de ma phrase n'aurait pas de conséquence.

" - Tout ce que je sais, c'est que Gustave se rend désormais tous les jours dans la gare où il erre en observant les trains.

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3 février 2013

Quand les cochons sortent - 48

Violette repensait à sa vie, elle ne pouvait pas partir comme cela, elle devait justifier son geste, pour Gustave, elle ne ferait pas ce qu'il lui avait fait : partir sans rien dire.

Elle prit donc son calepin pour préparer ce qu'elle allait écrire. Ce faisant, elle tomba sur un ancien texte qu'elle a écrit :

Les Hommes sont tous des cochons.

Je pensais Gustave une exception, mais ce soir j'ai eu la révélation ou plutôt la confirmation. Il ne faut qu'un temps, un bref instant finalement, avant qu'ils ne sortent de l'ombre et montrent leur côté sombre. Les cochons quittent la pénombre et révèlent au monde leur face immonde.

Ce sont des aberrations. Humains, ils ne sont. Ils ne sont que tromperie et goujaterie, fourberie et sournoiserie, hypocrisie et perfidie.

Gustave... Ô Gustave... pourquoi n'es-tu pas différent ? Je tenais à toi pourtant ! Il faut dire que je t'aimais tant... Pour la vie, nous aurions pu être amants.

Maintenant que reste-t-il ? Seulement du temps perdu semble-t-il. Il ne me reste qu'une grande déception et une grande désillusion qui crient à l'unisson :

Gustave... Ô Gustave... tu es comme tous les garçons.

Gustave... Ô Gustave... comme les autres tu n'es qu'un cochon.

Le relisant, elle se dit que ce n'était pas très bon, un peu niais même, un texte écrit à la va-vite, craché sur le papier. Enfin, cela traduisait assez sa déception d'alors. Relire ce texte la replongea dans cet état. Et puis, elle pensa à ce que lui avait expliqué Gustave sur les cochons, son long monologue dans lequel il lui avait expliqué ce que lui racontait son grand-père, et alors elle sourit.

Elle tourna les pages et, à la première blanche, se mit à écrire.

3 février 2013

Quand les cochons sortent - 47

J'ai finalement décidé d'emmener Gustave dans un autre endroit, pour Eve, pour sa santé. Je lui ai trouvé un appartement.

Lorsque j'y ai emmené Gustave pour la première fois, il a regardé le petit square devant son immeuble et s'est exclamé :

" - Tiens, des lapins bleus !"

J'ai eu beau chercher, je ne voyais pas. Gustave m'observa et dû comprendre mon désarroi.

" - Tu ne dois pas avoir d'assez bons yeux", me dit-il.

Je vins voir Gustave tous les jours, après son travail. On ne peut pas dire qu'il allait mieux mais on peut dire qu'il allait bien. Il prenait ses petites habitudes, trainait dans les boutiques du voisinage. Je vérifiais qu'il se sociabilise, qu'il ne s'exclut pas de la société. J'ai pu constater que ses voisins l'appréciaient bien et en même temps qu'il connaissait pas mal de gens grâce au bar le plus proche, mais comme apparemment, il était peu souvent fort saoul, je ne pouvait pas vraiment lui en faire le reproche. J'ai même réussi à lui trouver un travail dans la société B.

On pouvait donc le dire, Gustave semblait bien s'en sortir.

Tout allait donc bien dans le meilleur des mondes lorsque je reçus une lettre. Cette lettre, elle n'était pas pour moi, mais je ne savais pas si je devais la transmettre à qui de droit, cette lettre pouvait faire beaucoup de mal. Je ne savais vraiment pas comment faire. Je ne savais pas, non, je la gardai longtemps auprès de moi, sans savoir qu'en faire. Puis, un jour, comme je voyais qu'il allait mieux, je me résolus à la transmettre au destinataire :

- Tiens Gustave, c'est pour toi : une lettre de Violette.

3 février 2013

Quand les cochons sortent - 46

Je retrouver Eve allongée sur son lit, en train de pleurer sur son oreiller.

- Eve, qu'est-ce qui se passe ?

- Qui, qui est-il ? réussit-elle à dire entre deux sanglots.

- C'est Gustave, Eve, l'homme que tu appellais Gastion, ton Gaston.

- Mais il ne me reconnait plus. Il ne sait même pas qui je suis. Comment est-ce possible ?

- Je pense que la vie de Gustave ou de Gaston si tu préfères, a été un peu trop compliquée et un peu trop dure pour lui. Dorénavant, certaines choses simples lui demeurent un mystère.

- Mais il était si joyeux avec moi, il paraissait si intelligent?

- Il n'est plus l'homme que tu as connu Eve, il l'a dit lui-même : Gaston est mort. Il ne reste plus que Gustave et celui-ci ne t'apportera pas tout le bien que tu mérites, Eve, tu comprends ?

- Oui, me répondit-elle, elle avait arrêtée de pleurer et me regardait dans les yeux à présent. Je comprends, mais je ne sais pas si tu as raison, je ne sais pas, peut-être dois-je l'aider ?

- Ecoute Eve, il ne se souvient pas de toi et je pense que tu dois faire pareil. Regarde-toi depuis un mois Eve ! Regarde-toi ! Tu n'es plus toi-même, tu es en train de te perdre comme il s'est perdu.

- Mais que va-t-il devenir ? Qui va l'aider ?

- Ne t'inquiète pas Eve, reste à l'écart de cela, je m'en occupe. Essaie de l'oublier, de ton côté c'est tout ce que tu as à faire.

De mon côté, j'espérais surtout qu'elle réussirait à remonter la pente.

13 janvier 2013

Quand les cochons sortent - 45

"- Gaston !

- Gaston est mort.

- Mais comment... ? Quoi ?!

- Ca fait deux questions d'un coup, je ne suis pas sûr d'être prêt pour cela. En tout cas Gaston est bel et bien mort, oui, je me souviens d'avoir été à son enterrement. Nous n'étions pas très nombreux d'ailleurs, apparemment le foie de Gaston était plus résistant que celui de ses amis, il faut dire qu'il l'entraînait constamment. Son secret, c'était le radis noir, je me souviens qu'il disait..."

Gustave parle à toute vitesse, inarrêtable. Eve, en face de lui, est bouche bée. Elle est visiblement troublée de se retrouver nez à nez avec cet homme responsable de la torpeur dans lequel elle est plongée depuis plusieurs semaines.

Un électro-choc. J'avais espéré que la vision de Gustave l'aurait tiré de cet état quasi-végétatif dans lequel elle s'était plongée. J'ai des doutes maintenant. Je me demande s'il ne va pas falloir que j'aille l'emmener à Sainte Anne dans un future proche. Puis, je repense au directeur et me dit instantanément que, dans tous les cas, ce ne sera pas une option.

Pendant que je réfléchis, Gustave continue de parler. Lui qui n'avait que très peu parlé depuis quelques jours, il semble rattraper son retard, tout d'un coup.

"- ... avait fini tous ses verres bien avant les autres. Il en avait même bus d'autres en attendant que les autres finissent et puis il a ensuite ouvert le champagne lorsqu'on lui a remis le prix. C'est bien la preuve que... tiens, de nouveau ces papillons blancs, je me rappelle les avoir déjà vus, ils ne sont d'ailleurs pas aussi beaux que la fois où...

- Gustave, assis-toi ! l'interrompis-je

Il stoppe sa phrase, me regarde surpris, voire choqué, d'entendre un ordre de ma part, mais au moins il en profite pour reprendre son souffle, c'est tout ce que j'espérais. Vexé , il s'exécute. On dirait presque un enfant en train de bouder. Je lui souris alors et instantanément il me sourit aussi.

"- Gaston, que fais-tu ici ? demande soudain Eve, hébétée.

Gustave se retourne, cherchant derrière lui qui peut bien être ce Gaston. Ne voyant personne, il réfléchit intensément, mais il se souvient clairement avoir dit que Gaston est mort et se demonde donc pourquoi cette jeune fille insiste-t-elle ?

Eve, de son côté, semble au bord du gouffre, sans doute celui dont Gustave m'a parlé hier.

"- Eve, lui dis-je de ma voix la plus douce possible. Calme-toi, tout va bien."

Je lui entoure les épaules de mon bras.

"- Il se trouver que ce jeune homme s'appelle Gustave.

- Mais alors, Gaston est vraiment mort ! dit-elle, commençant à sangloter.

Je l'interromps bien vite :

- Gustave aime parfois s'appeler Gaston le prénom de son grand-père, car c'était un homme qu'il appréciait particulièrement, tu comprends ?

Je la foce à s'asseoir.

- Alors cet homme, c'est Gustave, mais c'est aussi le Gaston que je connais ?

- Oui, c'est bien ça, lui dis-je, tout en me disant que cela s'annonçait encore plus compliqué que ce que j'avais d'abord pensé.

Eve dévisageait Gustave. Elle semblait se remémorer petit à petit tous ses traits... Et en même temps, d'autres souvenirs émergeaient.

- Pourquoi Gustave ? finit-elle par demander.

Gustave dévisagea Eve un moment à son tour. Il fronça les sourcils puis sembla comprendre.

- Et bien j'imagine que c'est parce que mon père s'appelait Gaspard et que mon grand-père s'appelait Gaston et que mes parents voulaient que je transmette des initiales en plus du nom de famille. Mais je dois avouer que...

- Gustave ! intervins-je.

J'aurai voulu dire que ce n'était pas la question, que celle d'Eve c'était de comprendre ce qui s'était passé il y a un peu plus d'un mois... Mais, je craignais que cela le refasse plonger à nouveau dans le même état et puis j'avais vu quelque chose dans son regard qui m'inspira une autre question.

- Reconnais-tu Eve ? demandai-je.

- Eve ? C'est qui Eve?

Sa réponse est comme un coup de canon dans le ventre de l'intéressée. D'un coup, elle explose en sanglot. bondit dans sa chambre et claque la porte. Tout cela en même temps.

J'ai agi d'instinct et par curiosité, sans penser aux dommages collatéraux. Pourtant c'est bien ce que j'avais deviné dans le regard de Gustave.

- Gustave, attends moi, il faut que je parle à mon amie, tu ne bouges pas hein ?! Je reviens tout de suite.

Je vérifie un instant qu'il a bien compris et qu'il ne va pas se sauver et vais voir Eve.

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13 janvier 2013

Quand les cochons sortent - 44

Faire évader quelqu'un d'un hôpital psychiatrique, ce n'est pas si compliqué finalement... tout au moins quand le patient ne présente aucun danger pour la communauté ou envers lui-même. Mais Gustave, n'était pas violent, loin de là, il était juste perdu, mais le personnel soignant le laissait aller et venir à sa guise dans les bâtiments hospitaliers.

Enfin bref, rien d'épique dans son évasion. Je préfére, et de loin, la version que Gustave se plaisait à raconter. Bien entendu, lui ne parlait pas d'hôpital psychiatrique mais plutôt d'une véritable prison, dans un pays lointain et mystérieux, dans lequel il avait été enfermé à cause d'une erreur judiciaire. Sa version la plus courante était qu'il s'était énervé après une machine à café dans un commissariat, le commissariat d'un pays producteur de café, où l'acte était considéré comme un incroyable affront, mais je n'ai jamais su d'où venait ce mensonge.

Il racontait alors comment, bravant tous les dangers, j'étais venu à son secours, par les airs, tel en ange. Les évènements c'étaient enchaînés rapidement. J'étais arrivé dans les airs en deltaplane, avait localisé sa chambre, avait fait un premier passage pour lui donner un baton de dynamite et une allumette. Il avait allumé la mêche, avait positionné son lit à la verticale, contre le mur opposé de la fenêtre, c'était réfugié derrière et avait attendu l'explosion. Celle-ci avait été terrible, surpuissante. Il a senti la chaleur d'un four pendant un bref instant, à peine atténué par la présence isolante de son matelas. Il raconte ancore qu'il a toujours aujourd'hui des acouphènes à cause de la détonation. Ensuite, un peu sonné, il s'était approché du trou béant qui avait été l'un des murs de sa cellule et m'avait alors vu faire un deuxième passage. Il raconte que je l'ai attrapé au vol et qu'en moins de deux, nous étions dans les airs, sains et saufs, évitant les balles tirés des miradors voisins.

Parfois, lorsqu'il est particulièrement en forme, il raconte qu'il était enfermé en prison pour avoir délivré des informations à notre gouvernement, qu'il avait été un genre d'espion au service de la nation. Et alors il racontait qu'on nous avait pourchassé dans les airs, qu'on nous avait énormément tiré dessus, jusqu'à créer une pénurie de munition dans le pays où on était mais que nous avions finalement réussi à nous en tirer grâce à mon adresse et la nuit qui nous enveloppait.. ou les nuages selon la version.

Lorsqu'il sent qu'il a capté l'attention de son public il raconte même comment nous sommes ensuite arrivés sur Paris, survolant les toits, l'arc de triomphe, la tour Eiffel, faisant un petit tour de Montparnasse pour tranquillement venir se poser sur les quais de Seine, définitivement libres. Il se plait alors à décrire comment cette ville est magnifique vue du ciel.

Je ne sais comment il fait vraiment pour raconter toutes ces choses. J'en viens même parfois, à douter qu'elle ne se soit pas produite. J'ai donc également un très beau rôle, dans son histoire, du coup je le laisse faire, à quoi cela aurait servi de dire à tout le monde le pourquoi du comment ?

En réalité, la vérité était toute autre, plutôt banale, à peine mérite-t-elle qu'on la raconte finalement. En fait, dans le monde réel avec lequel Gustave se plait à jouer, il m'a suffit simplement de lui ramener de nouveaux vêtements. Oui, c'est nul, je sais, cela ne mérite pas tant d'effort, cela ne mérite pas vraiment que je le raconte mais voilà, les faits sont là. J'en ai pris à sa taille, cette fois, achetés exprès pour lui : pas trop grands, pas trop petits, pas trop larges, pas trop serrés. Un chapeau, un pull rayé et c'était parti. Je vins le voir dans sa chambre, comme je l'avais fait la veille. Nous allâmes dans le jardin, comme nous l'avions fait la veille, mais cette fois je ne le ramenai pas dans sa chambre. Cette fois, nous allâmes dans les toilettes d'un autre bâtiment que le sien. Je le déshabillai et lui donnai ses nouveaux vêtements. Alors qu'il était nu devant moi, nos corps proches l'un de l'autre dans l'espace confiné de ces toilettes, il voulu m'embrasser. Je me refusai à lui, je ne savais pas si j'étais prête pour cela, sans doute faudrait-il plus de temps, et puis c'était si compliqué, c'était... Ah... Gustave !

Une fois convenablement habillé, nous sortîmes bras dessus bras dessous comme deux visiteurs ordinaires, comme deux personnes venues simplement voir un proche. Et cela se passa aussi calmement que cela, personne ne nous demanda quoi que ce soit. Ce n'est pas que nos coeurs n'ont pas battu la chamade en passant le seuil de l'hôpital, non, c'était vraiment stressant mais c'est tout de même loin des balles sifflants dans nos oreilles de la version de Gustave.

En tout cas, une fois dehors, je poussai un soupir, soulagé.

" - Voilà une bonne chose de faite !" dis-je tout haut.

" - Y en a-t-il d'autres ?" me demanda-t-il. "Personnellement je n'en vois pas, je suis très bien ici."

Et il s'assit.

" - Non Gustave, pas ici, il nous faut aller quelque part où tu pourras retrouver tranquillement qui tu es, sans médicaments abrutissants et avec des personnes qui t'ai... tiennent beaucoup à toi.

Je n'ai pas prévenu Eve, mais Gustave doit venir chez nous, c'est une évidence, sans pression, avec nos soins chaleureux, sûrement dans ces conditions pourra-t-il remonter la pente.

20 décembre 2012

Quand les cochons sortent - 43

Patient n°26081983008456990-29.

               Interné depuis trente sept jours. Peu d’améliorations notables. Souffre toujours d’une schizophrénie relative. Le patient parle de lui à la première et troisième personne du singulier. S’appelle parfois Gustave parfois Gaston. Cependant chaque personnalité employée semble être la même.

Souffre également de pulsions morbides parricides. Prétends avoir tué son père. Le sujet s’enferme dans un mutisme profond du fait que ses pulsions lui semblent réelles.

Cependant une lente amélioration de sociabilisation est à noter depuis deux jours…

 

Je repose le dossier sur le bureau du médecin, je ne veux pas lire la suite. Le médecin a une tête toute ronde, avec de tous petits yeux enfouis à l’intérieur. Ces deux petits yeux me fixent longuement, attendant surement une manifestation de ma part. Ce n’est pas par mauvaise volonté mais rien ne me vient à l’esprit. Rien. Je pense juste à Gustave et je suis triste. J’ai envie de le voir.

Finalement c’est le médecin qui rompt le silence :

« mmmh… ce n’est pas un cas isolé mais c’est c’est un sujet intéressant, n’est ce pas ? »

Toi mon gros je ne t’aime pas du tout, je me dis à moi-même.

« mmmmh… c’est un interne qui est en charge du patient et du suivi me semble-t-il, mmmh, donc il n’a noté que les éléments qui lui seront utiles pour la remise d’un quelconque, banal et mauvais rapport universitaire, n’est ce pas, mmmh oui oui c’est ça mmmmh… »

Comme je ne sais pas quoi dire je me tais. C’est la meilleure technique qui soit, imparable.

Le médecin pose ses mains sur son gros ventre, recule dans son siège, me regarde,  puis reprend :

« mmh le sujet a arrêté de rire il y a cinq jours. Mmmmh, c’est ce qui fait son cas unique, n’est ce pas Il a rigolé pendant trente deux jours. Même pendant son sommeil…  en tenant des propos incohérents. Sur le fait qu’il ait tué son père notamment. Cependant cela s’apparente plus à un délire symbolique, un complexe freudien qu’à une réalité, n’est ce pas hum hum hum »»

Sur ces mots il se met à glousser. Enfin je ne sais pas s’il glousse ou s’il s’étouffe. Je m’en fous. Non en fait j’aimerai bien qu’il s’étouffe pour que je puisse aller voir Gustave maintenant.

Ne voyant aucune réaction chez moi, il se reprend, se gratte la joue et continue :

« mmmh… comprenez mademoiselle qu’habituellement je ne montre pas ce genre de dossier à des personnes n’ayant aucun lien de parenté ou d’éléments pouvant me prouver leur relation avec le patient mmmmh n’est ce pas, cependant vous êtes la première  personne à venir le voir depuis qu’il est ici. J’espère que vous nous serez utile pour mieux comprendre le sujet, mmmmmh »

Là je ne crois pas je me dis. Je ne dis rien au médecin nestcepas. Il m’énerve. Je trouve ses manières hautaines. Je veux juste voir Gustave. Moi aussi je veux comprendre. Moi aussi je veux comprendre pourquoi Eve était avec lui le soir ou c’est arrivé et pourquoi c’est elle qui a appelé l’ambulance qui a emmené Gustave à St Anne. C’est tout ce que je sais et c’est Eve qui me l’a dit. Je ne dormais pas quand elle est rentrée ce soir là. Elle m’a parlé d’un garçon, celui qui avait dormi chez nous la veille, de Violette et puis… et puis, plus rien. Depuis elle ne sort presque plus de sa chambre. J’ai beau essayer, rien. Elle ne rigole plus, je n’arrive pas à comprendre. J’ai essayé d’appeler Violette mais elle ne répond pas. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Moi aussi docteur j’aimerais comprendre, je dis. Je peux le voir ?

« oui, je pense qu’il est prêt » une des infirmières que je n’avais pas vu entrer me touche l’épaule. Puis reprend :

« grâce à votre prénom mademoiselle. Clélia. Il a souri tout à l’heure en entendant votre prénom. Clélia. Il n’avait pas souri depuis qu’il a arrêté de rire. »

Moi aussi je me dis en mettant mon gilet, et j’emboîte les pas petits et rapides de l’infirmière qui m’amènent vers Gustave au travers des couloirs labyrinthiques de l’hôpital psychiatrique St Anne.

 

« La folie c’est agréable tu sais, c’est quand on est au bord du précipice que c’est angoissant. Parce qu’on ne sait jamais quand on va tomber. »

Ce sont ses premiers mots. Nous sommes là, assis sur un banc, tous les deux, à l’ombre et ce sont ses premiers mots. Une légère brise s’est levée, c’est agréable. Gustave fume une cigarette. Des infirmiers passent autour de nous. Mais aucuns d’entre eux ne nous regardent. Je me demande ou se situe les limites de la folie, je veux dire qui a fixé é cette limite ? Par rapport à quoi ?

« Ça me fait plaisir de te voir me dit-il. Je m’ennuie un peu. Mon passé est encombrant. Surtout depuis que je sais. Que je sais que j’ai tué mon père. »

Je ne dis rien. Je prends sa main dans la mienne. Gustave pourquoi trembles tu ? Ce sont surement les cachets me réponds-tu. Je sers un peu les doigts. J’aimerais te dire que ce n’est pas ta faute, que tu as tout fais pour le sauver. Je pose ma tête sur ton épaule. Je veux te retrouver Gustave. Je regarde les arbres bouger.  

Je le regarde. Gustave je lui dis, humm je vais t’aider à sortir d’ici, n’est ce pas humm à t’évader, n’est ce pas humm mm. Gustave me dit que j’imite bien le médecin en chef. Ça le fait rigoler. Tant mieux. Moi je ne rigole pas du tout. D’ici demain Gustave, tu seras libre.

18 décembre 2012

Quand les cochons sortent - 42

Je vois le jour qui se lève lentement- les arbres avec lui – bruissements – les ombres de la nuit disparaissent et un oiseau s’envole. Bruissement encore. L’arbre s’agite. Puis, silence gigantesque.

J’aime voir le soleil se lever, c’est un renouveau, quelque chose de sublime et d’inédit, pendant un instant j’oublie tout et j’assiste à un quart de seconde, à un instant magique, un instant vierge de toute violence, une faille dans l’espace et dans le temps, une déchirure entre la naissance et le vie, entre la vie et la mort, un instant libéré du passé et du futur, pendant un instant, je le sens, il m’appartient, je suis libéré de tout, de mes névroses et de mes joies, de mon passé et de mes espoirs, de ma vie et de mes illusions, de tout vous dis je, un instant comme ça hors du temps. J’imagine que c’est pareil dans tous ces endroits aux connotations auditives hypnotiques, ces endroits idylliques, ou j’ai tant rêvé être, me promener, déambuler, à New York ou à Buenos Aires, La Havane ou Bangkok, Jérusalem ou Séville. Je me lève, marche sur la pointe des pieds, je ne veux pas déranger cet instant, cette léthargie temporelle avant que, petit à petit, la lumière recouvre tout, et avec elle reviennent les angoisses et la mélancolie. Tout ça me terrifie mais je n’ai personne à qui le dire. Souvent, c’est après cette extase que je vais me coucher. Au début ou j’étais là, les médecins ne voulaient pas, monsieur il faut vous réhabituer à vivre le jour ce n’est pas possible de vivre la nuit mais comment leur faire comprendre à tout ces médecins que tous les jours se ressemblent, tous, et que moi, Gustave, c’est un jour comme celui-ci ou j’ai tué mon père ? Comment leur dire ? Comment ?

17 décembre 2012

Quand les cochons sortent - 41

Gustave est allongé au milieu de la rue les yeux grand ouverts. Il contemple quelque chose en dehors du monde sensible, ce qu’il voit, l’image qu’il contemple lui plait. Il sourit.

Il a le doigt levé, comme s’il désignait l’infini. Il désigne un point, il cherche un symbole aléatoire, tente de se raccrocher à un endroit qui le dépasse. Il désigne quelque chose, et, doucement, le déchire.

Les passants autour de lui se sont arrêtés. Plus rien ne bouge. Excepté le doigt de Gustave. Ses yeux s’agrandissent au fur et à mesure que son doigt trace une lente droite, immatérielle, et pourtant on la sent cette droite, on la devine au travers de son regard. Gustave est dans le non tangible. Au-delà, ou au-dedans. Finalement, on ne sait plus. Des bribes de tics nerveux agitent les commissures de son sourire. Et plus son doigt descend plus les choses autour de lui reprennent leur place dans le monde réel, elles sortent de leur illusion, elles ne sont plus figées.

Gustave a tracé une limite dans les limbes de sa folie, une limite dont il ne reste sensiblement plus rien à part la rémanence intellectuelle de sa propre chute que l’on voit au travers de ses yeux remplis de terreur. Gustave s’adonne au rituel absurde et arbitraire d’un sens. Il donne un sens à ce qui n’en possède pas pour clarifier, ordonner ce que sa raison ne peut codifier. En ce sens, il n’a pas seulement délimité les contours de sa folie, il a ouvert quelque chose qui restera en lui, une image sensée, un découpage qui lui renverra les marques de ce qu’il est.

Plus les choses se mettent à revivre, reprennent leur mouvement incessant, plus le corps de Gustave se fige dans cet absolu qu’il a voulu marquer alors que sa bouche s’ouvre encore et encore.

Aucuns sons ne sort, au début, puis un râle puis… soudainement… Gustave se met à rire.

Pas un rirez de dément. Non. Plutôt le rire d’un homme qui se serait rendu compte d’une vaste supercherie, dont il ne cerne pas encore les limites, ou de l’absurdité tragi-comique d’une situation. Peut-être que Gustave se rend compte tout simplement qu’il perd le contrôle de lui-même. Et que son rire est la manifestation physique de sa peur.

Une chute libre dont il est à la fois acteur et spectateur.

Gustave rigole encore quand l’ambulance arrive. Il rigole encore et encore et son rire contraste avec les larmes d’Eve qui lui coulent sur le front pendant qu’elle lui caresse les cheveux.

16 décembre 2012

Quand les cochons sortent - 40

Après je ne sais plus trop comment c’est arrivé. Des bribes d’instant qui s’entrechoquent, sans cohérence. Un choc électrique. Une violence cérébrale inouïe. Je regarde les deux personnes en face de moi. Je crois les connaitre, je ne suis pas sur. Comme si je revenais d’un long voyage. Il y a très longtemps. Un temps très long s’est écoulé depuis mon départ. Excusez-moi. Mon cerveau malade replonge dans le passé comme si j’avais revécu toute mon histoire. Comme si hop je suis parti hop je suis de retour et entre ces deux instants plus rien n’est pareil, j’ai sombré et je continue à tomber je ne m’arrête plus je regarde ces deux personnes je cherche de l’aide je me mets à crier haaaaaaa comme ça haaaaaaa je les regarde haaaaaaaa et pourtant mes pieds sont ancrés au sol haaaaaaa je ne sais pas pourquoi je crie j’ai l’impression que c’est la seule chose que je sais faire haaaaaaa j’ai l’impression de tomber je fais des moulinets avec mes bras haaaaaa là sans bouger j’ai les yeux grands ouverts mais devant haaaaaaa tout s’écroule je recule et je continue à faire des moulinets avec mes bras haaaaaaa j’étouffe vite il faut que je parte que je m’extirpe de cet endroit, de moi, que je parte haaaaaaa que je parte, je ne réfléchis pas, je sors de cet appartement, cet appartement pourtant j’y ressens comme un attachement à cet appartement je ne sais pas pourquoi, c’est vide ici, le vide moi ça m’étouffe je descend les escaliers sautant des marches je tombe je roule je me cogne aux murs je m’en fous je continue à hurler haaaaaaa.

Dehors. Déferlement de lumières. Bruits. Klaxons. Les voitures s’écartent. Je m’en fous. Continuez votre chemin. Moi, je fuis. Il faut que je cours toujours plus loin, je dois fuir mon passé mais il est là autour de moi, je le sens, il m’englobe comme ça, je le ressens physiquement. J’ai peur. S’il vous plait. Quelqu’un. Aidez-moi.

Je tombe, je trébuche. Je reste au sol. J’ai besoin de respirer. J’ai besoin de soleil et j’ai besoin de nuits. J’ai besoin d’avoir peur et j’ai besoin de sourire. J’ai besoin d’espérer que demain sera une belle journée. Je m’allonge. Sur le dos. Je ferme les yeux. Dérives de pensées apocalyptiques et sublimes à la fois comme lorsque l’on se remémore un parfum, c’est un souvenir abstrait caché derrière un néon rouge, et alors c’est dans ces moments que tout danse, que tout se meut, que tout bouge au son de la musique du quotidien, jusqu’à l’aube, je brillerai pour la lune, une nuit, encore une nuit qui ne finira jamais et alors je brillerai encore et encore et quand je serai mort alors je crierai de joie d’être mort en lumière c’est ça oui je me dis c’est ça, c’est ça, oui,  comme un homme qui, assis, fume une cigarette, comme ça au matin et la fumée bleue qui s’élève c’est ça qui est beau quand elle monte, oui,  j’ouvre les yeux pour la voir  et je vois le ciel. Noir. J’ai envie de rire et de pleurer et je ne sais pas pourquoi. Plus rien n’arrêtera ma chute je me dis. Je regarde le ciel. Plus rien n’arrêtera ma chute. Non, plus rien.

Je me souviens avoir levé mon doigt. Je voulais ouvrir le ciel, contempler les dieux qui m’avaient subir ça, les regarder et voir leur visage fourmillant d’immondices et leur demander : pourquoi moi ? Pourquoi m’avoir infligé ça ? Pourquoi vous acharnez vous à vouloir me détruire ?

Je ne distingue plus grand-chose. Des visages et des lumières qui tournoient. Je ne sais pas pourquoi j’ai un gout amer dans la bouche. J’ai la sensation d’avoir, toute ma vie, travesti la réalité. J’ai la sensation d’avoir tué mon père.

Et soudain, tout devint clair. Moi Gustave, J’ai tué mon père.

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La Cage Aux Cochons
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