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La Cage Aux Cochons
20 décembre 2012

Quand les cochons sortent - 43

Patient n°26081983008456990-29.

               Interné depuis trente sept jours. Peu d’améliorations notables. Souffre toujours d’une schizophrénie relative. Le patient parle de lui à la première et troisième personne du singulier. S’appelle parfois Gustave parfois Gaston. Cependant chaque personnalité employée semble être la même.

Souffre également de pulsions morbides parricides. Prétends avoir tué son père. Le sujet s’enferme dans un mutisme profond du fait que ses pulsions lui semblent réelles.

Cependant une lente amélioration de sociabilisation est à noter depuis deux jours…

 

Je repose le dossier sur le bureau du médecin, je ne veux pas lire la suite. Le médecin a une tête toute ronde, avec de tous petits yeux enfouis à l’intérieur. Ces deux petits yeux me fixent longuement, attendant surement une manifestation de ma part. Ce n’est pas par mauvaise volonté mais rien ne me vient à l’esprit. Rien. Je pense juste à Gustave et je suis triste. J’ai envie de le voir.

Finalement c’est le médecin qui rompt le silence :

« mmmh… ce n’est pas un cas isolé mais c’est c’est un sujet intéressant, n’est ce pas ? »

Toi mon gros je ne t’aime pas du tout, je me dis à moi-même.

« mmmmh… c’est un interne qui est en charge du patient et du suivi me semble-t-il, mmmh, donc il n’a noté que les éléments qui lui seront utiles pour la remise d’un quelconque, banal et mauvais rapport universitaire, n’est ce pas, mmmh oui oui c’est ça mmmmh… »

Comme je ne sais pas quoi dire je me tais. C’est la meilleure technique qui soit, imparable.

Le médecin pose ses mains sur son gros ventre, recule dans son siège, me regarde,  puis reprend :

« mmh le sujet a arrêté de rire il y a cinq jours. Mmmmh, c’est ce qui fait son cas unique, n’est ce pas Il a rigolé pendant trente deux jours. Même pendant son sommeil…  en tenant des propos incohérents. Sur le fait qu’il ait tué son père notamment. Cependant cela s’apparente plus à un délire symbolique, un complexe freudien qu’à une réalité, n’est ce pas hum hum hum »»

Sur ces mots il se met à glousser. Enfin je ne sais pas s’il glousse ou s’il s’étouffe. Je m’en fous. Non en fait j’aimerai bien qu’il s’étouffe pour que je puisse aller voir Gustave maintenant.

Ne voyant aucune réaction chez moi, il se reprend, se gratte la joue et continue :

« mmmh… comprenez mademoiselle qu’habituellement je ne montre pas ce genre de dossier à des personnes n’ayant aucun lien de parenté ou d’éléments pouvant me prouver leur relation avec le patient mmmmh n’est ce pas, cependant vous êtes la première  personne à venir le voir depuis qu’il est ici. J’espère que vous nous serez utile pour mieux comprendre le sujet, mmmmmh »

Là je ne crois pas je me dis. Je ne dis rien au médecin nestcepas. Il m’énerve. Je trouve ses manières hautaines. Je veux juste voir Gustave. Moi aussi je veux comprendre. Moi aussi je veux comprendre pourquoi Eve était avec lui le soir ou c’est arrivé et pourquoi c’est elle qui a appelé l’ambulance qui a emmené Gustave à St Anne. C’est tout ce que je sais et c’est Eve qui me l’a dit. Je ne dormais pas quand elle est rentrée ce soir là. Elle m’a parlé d’un garçon, celui qui avait dormi chez nous la veille, de Violette et puis… et puis, plus rien. Depuis elle ne sort presque plus de sa chambre. J’ai beau essayer, rien. Elle ne rigole plus, je n’arrive pas à comprendre. J’ai essayé d’appeler Violette mais elle ne répond pas. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Moi aussi docteur j’aimerais comprendre, je dis. Je peux le voir ?

« oui, je pense qu’il est prêt » une des infirmières que je n’avais pas vu entrer me touche l’épaule. Puis reprend :

« grâce à votre prénom mademoiselle. Clélia. Il a souri tout à l’heure en entendant votre prénom. Clélia. Il n’avait pas souri depuis qu’il a arrêté de rire. »

Moi aussi je me dis en mettant mon gilet, et j’emboîte les pas petits et rapides de l’infirmière qui m’amènent vers Gustave au travers des couloirs labyrinthiques de l’hôpital psychiatrique St Anne.

 

« La folie c’est agréable tu sais, c’est quand on est au bord du précipice que c’est angoissant. Parce qu’on ne sait jamais quand on va tomber. »

Ce sont ses premiers mots. Nous sommes là, assis sur un banc, tous les deux, à l’ombre et ce sont ses premiers mots. Une légère brise s’est levée, c’est agréable. Gustave fume une cigarette. Des infirmiers passent autour de nous. Mais aucuns d’entre eux ne nous regardent. Je me demande ou se situe les limites de la folie, je veux dire qui a fixé é cette limite ? Par rapport à quoi ?

« Ça me fait plaisir de te voir me dit-il. Je m’ennuie un peu. Mon passé est encombrant. Surtout depuis que je sais. Que je sais que j’ai tué mon père. »

Je ne dis rien. Je prends sa main dans la mienne. Gustave pourquoi trembles tu ? Ce sont surement les cachets me réponds-tu. Je sers un peu les doigts. J’aimerais te dire que ce n’est pas ta faute, que tu as tout fais pour le sauver. Je pose ma tête sur ton épaule. Je veux te retrouver Gustave. Je regarde les arbres bouger.  

Je le regarde. Gustave je lui dis, humm je vais t’aider à sortir d’ici, n’est ce pas humm à t’évader, n’est ce pas humm mm. Gustave me dit que j’imite bien le médecin en chef. Ça le fait rigoler. Tant mieux. Moi je ne rigole pas du tout. D’ici demain Gustave, tu seras libre.

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