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La Cage Aux Cochons
19 septembre 2012

Quand les cochons sortent - 15

Le premier bar que je rencontre  est d’une banalité exemplaire. Ça fera l’affaire, la nuit est encore jeune, Gustave, tu as tout ton temps.

Je m’assoies à un table à la terrasse, m’allume une clope et commande un double whisky, peut être avec un peu trop d’entrain vu la tête que fais le serveur. Je me ressaisis mais plains quand même le barman avec toute la compassion qui m’est permis de donner, pauvre homme, pauvre Edouard (oui, voilà désormais tu t’appelles Edouard, c’est mieux de nommer les choses pour lesquelles on compati) Edouard, vanné, fatigué par une vie que tu n’as pas choisi, harassé par le labeur du travail que ton patron ulcéré t’impose nuit et jour. Pauvre Edouard, je vais te laisser un bon pourboire et ce geste illuminera peut être les traits de ton visage lorsque tu rentreras tard ce soir caresser le ventre de ta copine (enceinte du petit Hector) priant un Dieu imaginaire pour que cette nuit ne finisse jamais. Brave Edouard va, j’en ai les larmes aux yeux lorsque tu m’apportes mon whisky. 6,50 me dis-tu ? Voilà 20, et garde la monnaie mon brave. Oui oui, j’insiste. Non merci, ça va, j’ai une poussière dans l’œil c’est pour ça que je pleure. Retourne vaquer à tes occupations, rêver à une autre vie, que sais-je… Ha Edouard ! non non, pardon, ce n’est pas à vous que je parle, merci pour le whisky.

Bon il faut que je me ressaisisse, j’ai une mission, moi. Au bout de ma deuxième gorgée, un doute m’assaille. Et si Violette ne me reconnaissait pas ? Et si ma décontraction la choquait ? Si hier c’était mon innocence qui l’avait attirée ? Si mon charme n’opérait pas une deuxième fois ? Il faut que je sois sur que mon charme marche toujours je me dis après ma troisième gorgée de whisky (merci pépé).

Bon… c’est parti… Je regarde autour de moi, je me sens bien, c’est déjà ça.

Je m’étire nonchalamment pour bien faire entendre à mon entourage que je suis décontracté car je suis dans le monde comme un poisson dans l’eau.

Je m’enfonce un peu dans ma chaise pour renforcer mon côté détendu au cas où  certains badauds trop ancrés dans leur existence n’aurait pas vu mon premier signe manifeste de décontraction. Je tends mon cou vers la gauche pour regarder les deux filles assises dans l’angle de la terrasse. Toute mon attention se focalise sur elles (en même temps elles sont les deux seules clientes du bar…). Celle qui se trouve en face de moi me regarde. Allez Gustave, un petit geste de décontraction. Je souris, plisse les yeux et émet un petit schmac ! avec ma joue tout en ouvrant un peu les yeux, de manière très furtive. Elle a l’air un peu surprise. Bien joué Gustave. Également surpris par ma décontraction, je me rends compte que je glisse un peu. Conscient de ma délicate position je décide de ne pas essayer de me relever, pour garder une attitude naturelle (et décontractée). Je suis maintenant presqu’à l’horizontal mais continue à émettre des petits hochements de tête dans leur direction, avec un petit sourire que je sens cependant un peu crispé vu l’inconfortable position dans laquelle je me trouve. Je crois deviner que la fille qui se trouve en face de moi demande à sa copine de me regarder (ho oui regardez moi, homme moderne à l’aise dans le monde). Je dis bien ‘je crois deviner’ puisque je suis tellement en train de glisser que j’ai maintenant l’accoudoir de ma chaise devant les yeux. Je me dis que ça doit leur faire bizarre de voir uniquement le haut de mon crâne et mon sourire avec la barre de mon accoudoir devant mes yeux. Fort conscient de cette désagréable situation visuelle (pour elles, comme pour moi), je décide, par une petite impulsion du bassin, d’accélérer ma descente. J’ai maintenant la tête posée sur ma chaise et je continue à leur sourire mais je n’arrive plus à émettre ce petit claquement sensuel avec ma joue qui faisait une partie de mon charme car ma joue se trouve maintenant à l’endroit ou l’on pose normalement ses fesses (et le reste de mon corps traine par terre, hou il fait un peu froid j’aurais du prendre une veste). Alors là, elles ont une réaction difficilement analysable au premier regard. Elles rigolent tellement qu’elles se tapent les mains sur les genoux (du moins la première, celle qui me tournait le dos, l’autre je n’arrive plus à la voir d’où je suis). Je pense quand même être drôle, mais là cela ressemble vaguement à une moquerie. L’originalité est toujours cause de moquerie, je me dis en pensant à Edouard (pas le serveur, hein, l’autre, celui qui avait exposé Le Déjeuner sur l’herbe). Je décide alors de jouer la carte de l’indifférence, et oui, l’humour et après le désintérêt sont deux atouts majeurs de la séduction (je n’en sais rien en fait mais ça à bien marché avec Violette). Je détourne donc la tête (enfin je la tourne pour que l’arrière de mon crâne se trouve à plat sur la chaise) je vois Edouard (le serveur) qui me regarde de haut. Et oui, Edouard, comme toi, je suis un poète de l’existence et je regarde les étoiles, au fait d’ailleurs puisque tu es là enlève donc cette tonnelle qui gâche la vision poétique de l’instant, s’il te plait Edouard. Ha oui Edouard, tu n’as pas l’air de partager ma poésie mon grand (c’est vrai que d’où je suis Edouard à l’air vachement grand). Peut-être es-tu attiré par une des femmes assises là-bas (la future paternité fait peur, c’est normal)? Ne t’en fais pas mon brave, pas moi, mon amour à moi m’attends un peu plus loin, à un coin de rue, d’ailleurs, regarde hop ! Je m’en vais pour te prouver ma bonne fois. Avec un petit mouvement très discret des épaules je tente de me retrouver entièrement par terre ou il sera plus facile de m’en aller alors. Houlà, merci Edouard de me relever mais vraiment le pourboire était désintéressé, tu n’es pas obligé, hein. Brave Edouard, ta gentillesse te perdra.

Je me retrouve sur le trottoir de la même manière que la veille. C’est une drôle habitude de demander aux clients de partir, quand même, je me dis en remettant mon chapeau et en m’en allant trouver un autre endroit plus propice pour me prouver que mon potentiel sensuel est intact, en me disant que je ne remettrai jamais les pieds dans un tel endroit.

Je marche pendant environ dix minutes et me demande ou il y a une faille dans ma séduction, dans la manière dont je dévoile mon charme. Il faut que j’y remédie rapidement avant de revoir Violette. C’est ce à quoi je pense quand je m’assoies à la terrasse du bar L’astres aux notes.

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