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La Cage Aux Cochons
30 novembre 2012

Quand les cochons sortent - 39

Adossée à la fenêtre de sa chambre, Clélia repense au jour où elle a rencontré Gustave.

"- Pauvre Gustave tout de même," se dit-elle.

Il y avait tout d'une tragédie dans cette histoire. Pourtant, Clélia se souvient que la première qu'elle l'a vu, il était si joyeux. Son sourire ne pouvait mentir, il était le plus heureux des hommes, Clélia pensait même qu'il devait avoir mal aux joues à force de sourire ainsi. Si c'était le cas, il s'en moquait totalement et continuait de montrer ses dents à tout le monde. Surtout lorsqu'il voyait le visage de cet homme, cet homme qui s'appelait Gaspard et qui avait été son père. Il avait été si content de l'avoir retrouvé son père. Elle se disait que c'était pour cela qu'elle avait voulu être infirmière, pour partager des joies comme celles-là.

Malheureusement, cela ne dura pas Elle le vit, ensuite, dans son pyjama d'hôpital, toujours ailleurs, parfois délirant sous les effets de la morphine, mais pleurant le plus souvent. C'était après la malheureuse intervention. Cette opération qui lui avait arraché un rein et un père. Il avait retrouvé cet homme qui lui avait donné la vie au prix de nombreux efforts pour un temps récompensés, mais cela avait été pour le perdre de nouveau, presque aussitôt, et définitivement cette fois. Elle ne savait pas s'il pouvait y avoir de plus grand drame. Sa souffrance avait été terrible à voir et à entendre. Ses sanglots, ses cris. Non, ce n'était décidément pas des choses dont elle aimait se souvenir. Elle savait qu'infirmière était un métier difficile, mais elle ne s'était pas attendue à cela.

Les efforts de Gustave pour sauver son père avait été vains au bout du compte, lui causant même plus de tort que de bien, se disait Clélia. Il lui avait offert l'un de ses reins, à son père alcoolique qui, lui, n'avait pas su prendre soin de son corps et son paternel l'avait déçu, une nouvelle fois. Il avait rejeté sa greffe comme il avait rejeté son fils des années plus tôt. Il aurait mieux valu que Gustave ne retrouve pas cet homme, il n'aurait pas dû mettre tant d'acharnement. Clélia se demandait pourquoi il avait mis tant de ferveur dans la recherche de quelqu'un qui l'avait abandonné. Elle se dit sans doute que Gustave cherchait avant tout à se construire, et sans doute espérait-il que cela arriverait en apprenant de ses origines. Mais au lieu d'une construction, c'était une démolition à laquelle Clélia avait assisté. La joie de Gustave avait explosé en plein vol pour retomber dans un gouffre insondable. Jusqu'ici, seule la folie avait peut-être pu l'y soustraire mais Clélia espérait que quelqu'un, un jour, arriverait à réparer cet attentat que Gaspard avait causé dans l'esprit de Gustave.

Elle se souvient d'avoir été là quand on lui avait annoncé que son père n'avait pas survécu à l'opération. Elle se souvient de son regard à ce moment-là. Son cerveau semblait s'être connecté à une autre réalité, il était ailleurs. Il avait un peu le même regard que lorsqu'elle l'avait vu hier, nu au milieu de la rue. Il ne souvenait plus vraiment d'elle et Clélia le comprenait bien, il n'était plus vraiment lui-même, comment pouvait-il l'être ? Elle le trouvait touchant, cet homme, que le destin avait si durement frappé.

Clélia eut un frisson en repensant à tout cela. Elle éteignit sa cigarette et ferma la fenêtre de sa chambre pour ne pas attraper froid. Au loin, des sirènes parcouraient les toits de Paris.

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